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Danielle Darrieux et l'avant-guerre (1930-1940)
(suite)
Documents réunis par Christelle Ringuet
Quatre films typiques de cette époque
- Mauvaise Graine de Wilder et Esway (1934) est le seul film de Billy Wilder réalisé en France, en coréalisation avec Alexandre Esway. Billy Wilder dirige avec succès Danielle Darrieux, alors âgée de seize ans.
Henri Pasquier (Pierre Mignan) est un jeune homme de bonne famille à qui son père un médecin, coupe les vivres, insatisfait de son travail.
Henri se joint alors à une bande de voleurs de voitures, où il sympathise avec Jean qui l'héberge. Il rencontre Jeannette – interprétée par Danielle Darrieux – la sœur de Jean, dont il tombe amoureux. Mais la personnalité d’Henri dérange le chef de bande qui cherche à s’en débarrasser. Il sabote une voiture et charge Henri de faire une livraison à Marseille. Jeannette, sensible à ses charmes, l'accompagne. S'ensuit un voyage au rythme effréné qui se solde par une course poursuite avec les gendarmes et un accident dont nos deux amoureux sortiront indemnes. Arrivés à Marseille, ils décident de quitter la France. Mais Jeannette veut emmener son frère Jean. Pendant ce temps, à Paris, la police mène l’enquête sur les vols de voitures qui se multiplient, et trouve le garage des voleurs. Une fusillade éclate : Jean, grièvement blessé, décède. Jeannette et Henry quitteront la France sans lui vers de nouveaux horizons.
Ce film n’est pas seulement l’histoire d’Henry, c’est aussi celle de Jeannette. Jeannette est une jeune fille séduisante, maligne et déterminée. Elle habite avec son frère et fait partie de la bande : elle sert d’appât auprès d’hommes fortunés. L’affaire est florissante.
A sa première apparition, on découvre une jeune femme blonde, séduisante et apprêtée qui se regarde dans un miroir. Le regard pétillant, elle se dévoile délicatement à la caméra qui la suit ensuite au bois de Boulogne. Cette première apparition, permet non seulement de présenter notre héroïne, il nous dévoile aussi la nature de son rôle dans la bande.
Ce drame policier est focalisé sur l’organisation des vols de voiture. Toutefois, la fraîcheur et la jeunesse du personnage incarné par Danielle Darrieux, permet de viser des riches, et d’obtenir des revenus lucratifs. La plastique de la jeune actrice rapporte gros ! Mais le personnage de Jeannette se développe et devient une jeune femme dégourdie qui sait elle aussi obtenir ce qu’elle veut des hommes.
Jeannette est une femme indépendante et désireuse de plus d’autonomie. Et dès que l’occasion se présente, elle décide de se joindre à Henri pour son voyage à Marseille. Car elle rêve aussi d’évasion et d’une vie meilleure. Elle a de l’argent, Henri qu’elle aime, et son frère Jean ; ses deux hommes sans qui elle ne saurait vivre !
Si Mauvaise Graine, propose avec le personnage de Jeannette un rôle de femme émancipée, c’est dans certaines limites : la présence de son frère Jean ou celle d’Henri est la condition sine qua non de l’indépendance de Jeannette. Peut-on alors vraiment parler d’un personnage émancipé ?
- Dédé (1935) est le treizième film de Danielle Darrieux. Réalisé par René Guissart cette comédie musicale est inspirée d’une opérette éponyme créée en 1921 par Henri Christine et Albert Willemetz.
Monsieur Chausson (René Bergeron), propriétaire d’un magasin de chaussures au bord de la faillite, doit le mettre en vente. Dans le même temps, sa femme Odette (Mireille Perrey) se lie d’amitié avec un riche collectionneur, André de la Huchette (Claude Dauphin). L’homme s’éprend d’Odette, qui le convainc secrètement d’acheter le magasin de son époux. Pour tenir les rênes du magasin, André recrute son ami Robert (Albert Préjean) comme gérant, et Denise (Danielle Darrieux) récemment licenciée par un notaire.
Mais en achetant ce magasin, André de la Huchette, dit Dédé, n’a qu’une idée en tête, gagner les faveurs d’Odette. Denise éprouve des sentiments pour Dédé et souffre de l’indifférence de celui-ci à son égard. Odette ne sait quoi faire de sa relation « platonique » avec Dédé et mène son mari, monsieur Chausson, en bateau. Robert quant à lui tombe amoureux d’Odette et enfin le notaire fait tout pour gagner le cœur de Denise. Jalouse d’Odette, Denise passe son temps à faire la moue, Robert ne cesse de courtiser chaque femme qui passe. Monsieur Chausson intrigué par le comportement de Dédé et Robert, ne cesse de les surveiller.
Toutefois, pour célébrer la réouverture du magasin, Robert décide d’organiser une grande fête, le jour de la grève des cordonniers. Pour l’occasion, il recrute un grand nombre de danseuses en tenue légère, comme vendeuses. L’événement se transforme en fête où les grévistes, Robert, le notaire et les danseuses s’en donnent à cœur joie. Et, comme par magie tout s’éclaircit. Dédé et Denise finissent par se rendre compte qu’ils sont faits l’un pour l’autre. Robert tombe amoureux d’Odette, Maitre Leroydet oublie Denise, monsieur Chausson reprend possession son magasin.
Ce film est le genre d’oeuvre dans lequel Danielle Darrieux développe une image de « petite fille » capricieuse, boudeuse et coléreuse. Mais en dehors de sa beauté, le personnage de Denise est limité à être « passif et soumis au pouvoir masculin 1». On observe monsieur Leroydet faire usage de son pouvoir quand il licencie Denise sans véritable raison. Il dispose d’elle comme d’un objet. Denise subit son sort. D’ailleurs, elle n’aura même pas le luxe d’user de ses charmes pour séduire Dédé, elle devra attendre patiemment qu’il soit disposé à la remarquer et finalement à lui déclarer son amour.
Denise tout comme Odette sont des femmes qui semblent avoir une autonomie, pourtant, elles sont juste présentes pour satisfaire les désirs des hommes. On pourrait même dire qu’elles sont à leur merci. Le tout dans une ambiance bonne enfant, qui fait presque oublier ces rapports de domination, chaque femme paraissant satisfaite de son sort.
1. LE GRAS Gwénaëlle et CHEDALEUX Delphine, Genres et acteurs du cinéma français 1930-1960, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2012, p.124.
- Le Domino vert est un film franco-allemand réalisé par Henri Decoin et Herbert Selpin en 1935. C’est le dix-septième film de Danielle Darrieux et sa présence y est très forte, car elle interprète à la fois le rôle de Marianne de Richemond, une riche héritière et maîtresse d'un critique d'art, et Hélène de Richemond, sa fille.
Alors qu’elle est sur le point d’épouser Robert Zamietti, Hélène de Richemond, élevée par son oncle et sa tante, apprend dans une lettre laissée par sa défunte mère, que son père est un homme nommé Henri Bruquier et qu’il purge une peine de prison de 25 ans pour meurtre… Le film nous plonge vingt ans en arrière à la rencontre de ses parents.
On fait alors la connaissance de Marianne de Richemond, une jeune femme qui fait tout pour s’affirmer auprès de sa tante et son oncle, notamment en matière amoureuse. En effet, ces derniers veulent lui imposer un homme qu’ils lui ont choisi, or cette dernière s’est amourachée d’un élégant collectionneur d’art, Henry Bruquier, alors encore marié. Lors d’un bal organisé par la ville, Marianne va user de ruse pour passer du bon temps aussi bien avec sa famille qu’avec Henri. C’est déguisée dans un costume de domino vert qu’elle débutera cette aventure amoureuse secrète. Mais la femme d’Henri est assassinée au domicile conjugal. Persuadé que Marianne est coupable du crime, Henri s’accuse du meurtre de sa femme.
Découvrant l’histoire, Hélène décide de mener l’enquête avec l’aide de Naulin. Ensemble, ils découvriront la vérité et prouveront l’innocence d’Henri.
Hélène est une jeune femme éduquée et bénéficiant d’un statut social, qui a l’audace d’aller à l’encontre des souhaits de sa famille. Jeune femme active et investie, avec l’aide de son petit ami Naulin, elle trouvera les réponses à ses questions. Mais elle subit la domination patriarcale à travers le mariage imposé avec l’homme qu’elle n’aime pas, mais en plus, c’est son futur mari qui sera à la tête de l’entreprise familiale.
A l’issue de l’enquête qui innocente Henri, on assiste aux retrouvailles entre le père et la fille. Ce n’est qu’après cet heureux dénouement, qu’Hélène décide de se marier avec l’homme qu’elle aime : Naulin. Comme sa mère, Marianne, qui avait elle aussi décidé d’écouter la voix de son cœur.
Mais on peut se demander pourquoi elle décide d’attendre la libération d’Henri pour décider de se marier. Les mœurs de l’époque voulaient que le prétendant demande la main de sa dulcinée, mais avec le recul, on peut y voir un manque de liberté puisque un refus de la part ce père, qu’elle ne connait pas, suffirait à remettre en question son futur amoureux. Ce qui reviendrait à dire que seul l’homme est capable de jugement raisonnable, seul l’homme distingue le bien du mal, et lui seul est en mesure de décider du destin des femmes. Ainsi, seul un homme peut décider du destin d’Hélène. Alors sincèrement, cette demande de la main d’Hélène au moment où elle est faite, est-elle un geste symbolique ou un agissement patriarcal ? Le Domino Vert décrit-il réellement le destin d’une femme moderne et ambitieuse, certes, mais émancipée et indépendante ? Une chose est certaine, le film dépeint une femme déterminée et battante.
- Abus de confiance est un film français sorti en 1937 et réalisé par Henri Decoin. C’est le vingt-cinquième film de Danielle Darrieux et son troisième film avec Henri Decoin.
Lydia, jouée par Danielle Darrieux, une étudiante en droit orpheline, se retrouve sans ressource suite au décès de sa grand-mère. Pour subvenir à ses besoins, elle doit trouver un emploi rapidement. Mais le marché est saturé et elle se voit traitée comme une proie par les employeurs. Désespérée, elle se confie à sa meilleure amie Alice, qui lui propose un stratagème. Lydia doit se faire passer pour la fille de Jacques Ferney, un illustre historien, qu’il a eue d’un amour de jeunesse et qu’il n’a jamais reconnue. Jacques Ferney accueille Lydia à bras ouverts. Néanmoins, Hélène, l’épouse de Jacques est suspicieuse et mène son enquête. Découvrant la supercherie, elle décide toutefois de garder le secret.
Abus de confiance est un film qui marque un véritable tournant dans la carrière de l’actrice. On y découvre non plus une petite fille capricieuse, mais plutôt une jeune femme brave, mûre, intelligente et carriériste. A l’opposé des films précédents, ici, le personnage de Lydia semble n’avoir que faire des hommes qui lui tournent autour, se définissant avant tout par sa réussite professionnelle. Alice occupe aussi un rôle important dans ce film car elle est l’initiatrice de cette ruse contre Jacques. Les personnalités d’Alice et de Lydia sont diamétralement opposées. Alice est médiocre en cours et opportuniste alors que Lydia est bonne élève et dotée de morale, même si, poussée par le désespoir et l’envie de réussir, elle accepte de frauder.
Dans ce film, Danielle Darrieux donne une représentation convaincante de la femme moderne, mais aussi de la solidarité féminine. En effet, on observe une complicité entre les trois personnages féminins. D’abord, Lydia et Alice, ensuite entre Hélène et Alice, et enfin entre Hélène et Lydia. Les trois femmes sont complices pour garder le secret qui leur donne un certain pouvoir.
Sous sa nouvelle identité, Lydia est devenue avocate et son premier cas est une jeune adolescente accusée d’abus de confiance. Dans un plaidoyer passionné, elle relate les difficultés que rencontrent au quotidien les femmes des classes populaires, faisant référence implicitement à sa propre vie. Elle semble expliquer à Hélène les raisons de sa supercherie, ce qui motivera cette dernière à garder le secret vis à vis de Jacques.
Ce film propose une représentation novatrice des femmes. Non seulement on observe une solidarité féminine, mais pour une fois, les femmes sortent victorieuses. L’une retrouve un mari aimant, et l’autre, se trouve un cadre de vie lui permettant de s’accomplir professionnellement.