Danielle Darrieux et l'avant-guerre (1930-1940)
Documents réunis par Christelle Ringuet
Les débuts de Danielle Darrieux
Danielle Darrieux est souvent représentée comme une des figures de femme émancipée du cinéma des années 1930. Elle était en tout cas « l’une des actrices les plus populaires en France1 ». 1931 et 1941 bornent la première décennie de sa longue carrière artistique. Elle travaille sur un grand nombre de productions et co-productions franco-allemandes. On remarque aussi que durant cette période, beaucoup de films allemands ont une version française, probablement parce que la France est le meilleur marché européen à l’époque après l’Allemagne. La jeune actrice jouera dans trente films. Parmi les nombreux réalisateurs qui la filmeront, Henri Decoin qu’elle épousera en 1935 et avec lequel elle connaitra ses plus grand succès. Avec lui, elle interprètera les rôles principaux des films Le Domino vert (1935), Mademoiselle ma mère (1937), Abus de confiance (1937), Retour à l’aube (1938), Battement de cœur (1940) et Premier rendez-vous (1941). Elle est très jeune, mince, grande et belle, très vite, on fait d’elle une star !
Sa carrière des années trente est marquée par deux types d’images qu’elle développera à l’écran : « la jeune fille et la femme moderne2 ».
1- LE GRAS Gwénaëlle et CHEDALEUX Delphine, Genres et acteurs du cinéma français 1930-1960, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2012. 2- Ibid., p.121.
En général, ce personnage de jeune fille est représenté comme fragile, vulnérable et indisciplinée nécessitant la protection d’un homme fort et plus âgé. On peut voir ce personnage représenté comme nous le dit Jonathan Driskell dans les films comme Katia (Tourneur, 1938), Club de femmes (Deval, 1936), Quelle drôle de gosse (Joannon, 1935) ou encore Mademoiselle ma mère (Decoin, 1937)3.
Le personnage de femme moderne quant à lui a souvent été utilisé dans les comédies. Régulièrement, ces rôles interprétés par Danielle Darrieux dans les comédies, reposent sur « une guerre des sexes déclenchée par l’irruption de femmes modernes, plus émancipées4.» Effectivement, l’image de femme moderne a son importance dans la comédie car elle permet de justifier le caractère émancipateur de notre héroïne.
Danielle Darrieux a été façonnée de telle sorte que « la comédie [a mis] notamment en valeur son jeu impulsif et très mobile5 », menant à l’incroyable succès de cette grande dame du cinéma français. Nous retiendrons du talent de Danielle Darrieux, cette habileté à passer d’un genre à l’autre. Car elle est une actrice polyvalente qui travaillera aussi sur de nombreuses adaptations théâtrales parmi lesquelles on citera par exemple Le Coffret de Laque (1932).
Notre actrice ne se cantonne pas au seul genre de la comédie, ou de la comédie musicale. Au contraire, dans Le Domino Vert déjà, elle démontre qu’elle est capable d’apporter contenance et crédibilité à ses personnages. Son succès le plus notable dans le genre dramatique pour cette période sera très certainement les films Abus de Confiance, et Mayerling (1936).
3-Ibid., p.122. 4- Ibid., p.125. 5- Ibid., p.130.
Cette image « de femme moderne » que nous mentionnons plus haut est également observable dans un grand nombre de drames. C’est Henri Decoin qui la fera changer de registre. De son passage au drame, elle déclare d’ailleurs, parlant d’Henri Decoin son agent et mari : « … J’ai toujours eu une absolue confiance en lui et je lui ai obéi en tout. Sans ses conseils, son flair et son appui, je serais sans aucun doute restée une jolie fille chantant et bêtifiant dans des productions mineures et j’aurais probablement quitté le métier assez rapidement. Il a su me mettre en valeur et me persuader que je pouvais jouer de grands rôles dramatiques. Il a même écrit pour moi, m’imposant ainsi dans un emploi où personne ne m’imaginait et ne me voulait6.» La « femme moderne », rappelons-le, est une femme au mode de vie actif et libéré. Celle-ci cherche à obtenir davantage d’autonomie dans sa vie personnelle comme dans sa vie professionnelle.
Si Danielle Darrieux devient un emblème de l’émancipation féminine de son époque, c’est surtout parce qu’en plus d’incarner des personnages désirés de tous les hommes, elle représente la réussite sociale pour les femmes. Elle parvient à s’imposer et atteindre une position sociale forte donnant droit à l’indépendance. En incarnant souvent des personnages actifs sur le plan professionnel, elle inculque la notion de femme indépendante, parce qu’elle travaille.
6- Darrieux, Danielle ; Jean-Pierre Ferrière (1995). Danielle Darrieux – Filmographie commentée par elle-même. Paris: Ramsay Cinéma.
Le film Abus de Confiance par exemple, fait d’elle une femme fragile et vulnérable mais à la fois dynamique, car désireuse de d’obtenir une autonomie professionnelle. Et les films qui suivent ne cesseront de reproduire ce personnage dynamique. Dans ce film, elle nous expose à un personnage de femme moderne ambitieuse, qui veut coûte que coûte devenir avocate. Elle y parviendra habilement et subtilement, en ayant recours à la supercherie.
Danielle Darrieux est une actrice qui débutera très jeune sa carrière. Cette femme qui n’a pas pris de cours d’art dramatique a un jeu d’actrice spontané. Elle se distingue par son talent mais aussi pour sa plastique. En effet, Danielle Darrieux deviendra une star selon la définition très hollywoodienne du terme. Sa réussite reposant sur un talent pouvant être défini selon Richard Dyer comme comprenant, « une plastique photogénique frappante, une capacité d'être acteur, une présence face à la caméra, du charme et de la personnalité, du sex-appeal, une très belle voix7. » De ce fait, Danielle Darrieux devient une actrice très sollicitée, ayant une véritable une influence sur son audience et notamment les femmes. Elle les influence notamment en adoptant des styles vestimentaires et des coiffures qui défient les tendances vestimentaires féminines du moment. Elle porte des vêtements à la mode du moment et elle adopte aussi un look garçonne, portant la cravate et parfois le pantalon. Avec ses airs chics, elle incarne l’élégance, l’assurance, la respectabilité, en bref la femme nouvelle et moderne qui n’exige rien d’autre que d’avoir une place active dans la société.
7- DYER, Richard, Stars, London, BFI Publishing, 1998.
Suite : Danielle Darrieux à Hollywood ; la chanson
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