Le Débat des cinq sens de l'Antiquité à nos jours, Géraldine Puccini (dir.), Pessac, Presses universitaires de Bordeaux, Eidôlon n°109, 2014
Dans le champ étendu des recherches actuelles sur le corps, la question des cinq sens et de leur hiérarchie est peu abordée. C’est le premier ouvrage véritablement consacré à l’histoire des cinq sens, à leur théorisation philosophique et à la variété de leur mise en scène dans la littérature et les arts, occidentaux principalement. Son organisation chronologique, depuis l’Antiquité grecque jusqu’à l’extrême contemporain, met en lumière les différentes manières dont nos modes sensoriels ont été appréhendés durant l’histoire, traduisant l’évolution de nos schémas de pensée non seulement sur le corps et ses sensations, mais aussi sur l’âme. C’est l’identité humaine qui s’en trouve redessinée.
L’ouvrage obéit à une approche résolument plurielle et pluridisciplinaire, selon les fondements essentiels des études sur l’imaginaire, dans les domaines de la littérature, la médecine, la philosophie, l’anthropologie, la religion, aussi bien que dans les arts (l’iconographie, les arts plastiques, le théâtre, l’opéra, la bande dessinée), chacun révélant la fécondité de cette notion. Instauré par Platon, repris par Aristote, adopté par les Romains, le débat des sens témoigne du dualisme entre le corps et l’esprit qui structure toute l’histoire de la pensée occidentale.
Notre culture s’est construite autour de la vue et, dans une moindre mesure, de l’ouïe, sens valorisés parce qu’ils font tendre le corps humain vers le corps divin, tandis que le goût, l’odorat et le toucher étaient considérés comme des sens inférieurs entraînant le corps humain vers le corps animal. Le débat sur les sens fait l’objet d’une représentation riche et complexe dans l’art et les textes médiévaux, comme en témoigne la tapisserie de la Dame à la licorne ; il demeure au centre des préoccupations philosophiques de la Renaissance. Un tournant majeur se produit au XVIIIe siècle où apparaissent une esthétique de l’émotion et une valorisation du sens du toucher au détriment de la vue. C’est toute l’expérience sensible qui est repensée. La remise en cause de la hiérarchie des sens se poursuit à l’époque moderne. La représentation littéraire accorde désormais une large place à l’expérience sensorielle qui se déploie jusqu’à la synesthésie. L’époque contemporaine, dans un mouvement de transgression, s’attache à se dégager d’un modèle culturel prohibitif, et les pratiques littéraires et artistiques contemporaines cherchent à réhabiliter tous les sens et à leur donner sens.
De la hiérarchie aristotélicienne à la pluri-sensorialité de la scène lyrique d’aujourd’hui, c’est le « régime sensoriel » d’une culture à un moment donné que l’ouvrage éclaire.
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