Mme. Cristina Tosetto
a présenté ses travaux en soutenance le :
7 décembre 2018 à 14h00
à la Maison de La Recherche - Salle des thèses (001) - de l'Université Bordeaux Montaigne. La soutenance est publique.
en vue de l'obtention du diplôme du Doctorat Arts (Histoire, Théorie, Pratique).
Pour une histoire de la critique dramatique et théâtrale en France et en Italie (1952-1996)
sous la direction de Mme SANDRINE DUBOUILH FRECHET, Professeur des Universités et M. GERARDO GUCCINI (co-direction), Professeur (université étrangère)
Resumé (fichier .pdf)
Membres du jury:
M. MARCO CONSOLINI, Professeur des Universités de l'UNIVERSITÉ PARIS 3 SORBONNE NOUVELLE : Co-encadrant
Résumé :
POUR UNE HISTOIRE DE LA CRITIQUE DRAMATIQUE ET THÉÂTRALE EN FRANCE ET EN ITALIE (1952-1996)
Du protocole texto-centré à la fabrique du théâtre
L’absence d’une étude globale de l’histoire de la critique de théâtre contemporaine1 pose le décor de notre propos : celui d’un champ de recherche en grande partie encore inédit. Ainsi, la préposition « Pour », ouvrant le titre de ce travail de recherche, manifeste le désir de constituer un premier ouvrage pour la connaissance et la diffusion de l’histoire de la critique dramatique et théâtrale contemporaine en Italie et en France. C’est un projet ambitieux car il balaye plus de quarante ans d’histoire du théâtre en mettant en relation la situation de deux pays. Comment mettre en lumière les circonstances historiques et les configurations intellectuelles qui permirent l’extension d’une critique du théâtre antérieurement réduite à la littérature dramatique ? La thèse rassemble une série d’objets (revues, journaux, ouvrages collectifs et périodiques des théâtres) constituant un échantillon raisonné des pages dans lesquelles opèrent les critiques dramatiques et théâtraux. Pour préciser ces circonstances et configurations, le plan ordonne les revues, les journaux et autres objets éditoriaux, de manière à suivre en parallèle le déclin des analyses littéraires des pièces et la diffusion d’une critique théâtrale et dramatique prenant en compte ce que nous appelons la « dimension spectaculaire » du théâtre. Avec la formule « dimension spectaculaire », nous ne faisons pas seulement référence à la scène, mais aussi aux processus de fabrication des spectacles, aux retombées sociales du travail scénique et aux spécificités des écritures théâtrales.
La date correspondant au début de l’étude, le vingt novembre 1952, fait référence, en France, au discours de Jean Vilar « Le Théâtre et la soupe » et, en Italie, à la mort de Benedetto Croce, célèbre philosophe italien.
Ce jour-là, Jean Vilar, directeur du TNP, présentait le bilan de son parcours de maître d’œuvre du théâtre populaire et comparait ses spectacles à de la « soupe » en concluant : « j’ai tenté donc de vendre ma soupe à bon marché, et la meilleure possible2 ». Vilar appelle le milieu théâtral à offrir son soutien à cette « œuvre collective » dénommée « théâtre populaire », menacée à la suite de l’éviction de la directrice des Arts et Spectacles, Jeanne Laurent. Ainsi, un certain nombre de critiques dramatiques, en se positionnant, échappèrent au dilemme : jugement de la pièce et plaisir du spectateur. Je cite ici Bernard Dort « l’objet de notre réflexion changeait : il n’était plus tel ou tel spectacle en soi, détaché de tout le reste et ne relevant que du mythe du Théâtre, mais une certaine activité théâtrale continue, ouverte sur le monde et responsable devant lui (c'est-à-dire devant nous)3 ». Se profile ainsi l’alternative entre une critique « au jour le jour » et une critique comme réflexion sur l’activité théâtrale.
Ce vingt novembre 1952, mourut l’auteur de Problemi di estetica : Benedetto Croce qui fit autorité tout au long de l’après-guerre, imposant l’inspiration du poète comme critère principal pour juger une œuvre. À la moitié des années cinquante, le critique Gerardo Guerrieri contesta cette conception idéaliste de la critique d’art en la parodiant : « Pourquoi tels poètes ne réussirent ils guère ? Assurément, il n’y avait aucune véritable motivation, ils faisaient de la poésie invita minerva4 ». Guerrieri exprima alors son ressenti partagé par de nombreux critiques de sa génération qui souhaitaient en finir avec l’idéalisme de Croce. Dans la droite ligne de ces réflexions, suit l’interrogation de l’héritage crocian qui favorisa la naissance d’approches critiques analysant à la fois l’intérêt scénique des œuvres et celui des spectacles.
Le 20 novembre 1952 marque ainsi une date de rupture significative dans les deux pays entre deux passés lointain et proche. Or, l’entaille entre le présent de celui qui écrit et le passé récent dans lequel notre étude s’achève s’effiloche davantage qu’elle n’établit une coupure nette. La crise de la presse qui commence symboliquement en France en 1974 avec la grève au Parisien libéré5 et en Italie en 1992 avec la crise politique dénommée « Tangentopoli » décrédibilisant le monde de l’information6, loin d’effacer la problématique du spectaculaire, la relègue progressivement et cruellement au second plan dans les deux pays. La mort entre 1994 et 1996 des deux figures majeures de la critique dramatique et théâtrale (Bernard Dort, en France, et Giuseppe Bartolucci, en Italie), les premiers à avoir effectivement révolutionné, avec le concept d’« écriture scénique », le protocole critique texto-centré du début du XXe siècle, marque la rupture avec le contexte des années soixante-dix quand la prise en compte de la « dimension spectaculaire » du théâtre était un enjeu saillant. Certes, cette question restera d’actualité mais elle deviendra moins prégnante au fil des années quatre-vingt en France et quatre-vingt-dix en Italie face à un autre problème majeur : la survie de la profession, voire de la fonction du critique. De fait, avec les disparitions de Bernard Dort et Giuseppe Bartolucci, une époque critique se clôture symboliquement pour faire place à une nouvelle période dominée par l’incontournable question de la survie de la critique dramatique et théâtrale qui impliquera de nouveaux moyens d’existence7.
Je vous remercie pour votre attention et j’espère vous avoir donné envie de poursuivre la lecture.
Notes
1 Exception faite des ouvrages et articles de Chantal Mayer Plantureux, Jean Pierre Sarrazac, Robert Abirached, Marco Consolini, Julie de Faramond et, pour l’Italie, des précieux études sur le Nuovo Teatro (Nouveau Théâtre) et les contributions de Valentina Valentini, Lorenzo Mango, Gerardo Guccini, Oliviero Ponte di Pino et Massimo Marino. Ces études s’attachent à des thèmes, des périodiques ou des personnalités. Manque ainsi une étude qui aurait pu croiser ces différentes recherches.
2 Jean VILAR, « Le Théâtre et la soupe », in Id., Le Théâtre service public, présentation et notes d’Armand DELCAMPE, Paris, Gallimard, 1975, p.170.
3 Bernard DORT, Théâtre public, 1953-1966, Paris, Seuil, 1967, p.17.
4 Gerardo GUERRIERI, note, Archive Gerardo Guerrieri de l’Université la Sapienza de Rome cote : AG/Teatro Italiano-1/ cart 4/3. Faire de la poésie invita minerva [poetare invita minerva] signifie écrire des poésies sans avoir du talent (écrire contre le vouloir de Minerve).
5 Patrick EVENO, Histoire de la presse française, Paris, Flammarion, 2012, p.243.
6 Paolo MURIALDI, Storia del giornalismo italiano [1996], Bologne, Il Mulino, 2000, pp.295-300.
7 Nous faisons référence notamment à la critique qui se développe sur internet, phénomène qui débute à la fin des années quatre-vingt-dix. David LARRE, Myrto REISS, Catherine ROBERT, « Situation de la critique théâtrale en ligne », in Marion CHENETIER-ALEV et Valérie VIGNAUX (dir.), Le texte critique. Expérimenter le théâtre et le cinéma aux XXᵉ et XXIᵉ siècles, op. cit., pp.409-423. Giulia ALONZO, Oliviero PONTE DI PINO, Dioniso e la nuvola. L’informazione e la critica teatrale in rete : nuovi sguardi, nuove forme, nuovi pubblici, Milan, Franco Angeli, 2017.
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Articles
2017 Cristina Tosetto, «Note de lecture : “Le théâtre de Baudelaire” de Roland Barthes», Acta Litt&Arts [En ligne], URL : http://ouvroir-litt-arts.univ-grenoble-alpes.fr/revues/actalittarts/219-note-de-lecture-le-theatre-de-baudelaire-de-roland-barthes [consulté le 10 décembre 2017].
Conférences
2014 « Normes implicites et transformations imperceptibles dans l’exercice de la profession : le cas du critique de théâtre à partir des années soixante », Colloque Implicite et imperceptible, CLARE, 20 octobre 2014, (Université Bordeaux Montaigne)
2016 « Dire le Ventennio : la littérature dramatique italienne et l'édition (1964) », colloque international Mémoire du Ventennio. Créations artistiques contemporaines, 15-16 septembre 2016, (salle Vasari INHA Paris)
2016 « Le théâtre aux rythmes de L’Express. Petite contribution de la critique dramatique à l’observation des spectacles », colloque Observer le théâtre, pour une nouvelle épistémologie des spectacles, sous la direction de Sandrine Dubouilh et Pierre Katuszewski, projet soutenu par le laboratoire CLARE. 15 octobre 2016 (Université Bordeaux Montaigne)
2017 « Les avatars culturels de Frankenstein du Living Theatre », colloque international Frankestein le demiurge des Lumières : 8-10 décembre 2016 (Université de Genève)
2017 « Ce que le théâtralisable doit à la théâtralité barthésienne », intervention au colloque international Les conditions du théâtre. Le théâtralisable et le théâtralisé, 6-7 avril 2017 (Université de Losanna)
2017 « “Nos certitudes au jour le jour”: Grenier de Toulouse, bulletin du CDN du Sud Ouest », intervention au colloque Les Revues et les journaux de la Décentralisation Théâtrale (1945-fin du XXe siècle), 23 juin 2017 (Maison de la Recherche Paris)