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Mme. Lamia AIDOUDI

 

a soutenu sa thèse en Communication, Arts et Spectacles

 

le 13 juillet 2018 à 14h00

 

à la Maison de La Recherche - Salle des thèses (001) - de l'Université Bordeaux Montaigne. La soutenance est publique.



Le cinéma tunisien des années 70 en tant qu' espace autonome d'accueil et de co-construction de la contestation politique et sociale. Configuration du récit et du discours

 

sous la direction de M. PIERRE BEYLOT, Professeur des Universités



 Resumé (fichier .pdf) 




Membres du jury:

 

  • M. PIERRE BEYLOT, Professeur des universités, de l'UNIVERSITÉ BORDEAUX MONTAIGNE
  • M. BERTRAND CABEDOCHE, Professeur des universités, de l'UNIVERSITE GRENOBLE ALPES
  • M. HEDI KHELIL, Professeur (université étrangère), de l'UNIVERSITE DE SOUSSE (TUNISIE)
  • M. ALAIN KIYINDOU, Professeur des Universités, de l'UNIVERSITE BORDEAUX MONTAIGNE
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    Résumé :

     

    Le cinéma tunisien des années 1970 a été créé dans le tourment et dans l’immédiat de la lutte contre le poids d’une situation politico-économique fragile et instable. Il témoigne donc d’un historique moins important, sinon moins structurant, par rapport à d’autres cinémas du monde. Pour autant, les cinéastes tunisiens, du moins une bonne partie de la génération des fondateurs, ont voulu être témoins et acteurs d’un ensemble de problèmes auxquels la société était sensible. La mission de beaucoup d’entre eux était de parler de leur pays, de leurs concitoyens et de leurs problèmes. Plusieurs réalités poussaient les cinéastes « engagés » à s’exprimer ainsi avec courage et ferveur. C’étaient des artistes sensibles qui vivaient et évoluaient dans une société pleine de paradoxes et de contrastes, hérités d’un brassage historique culturel qui caractérise par ailleurs tout le pourtour méditerranéen : la Tunisie est au cœur du bassin méditerranéen. Sa société est un vivier très riche d’emprunts linguistiques et de métissages culturels accumulés pendant des siècles, entre un orientalisme historique venu avec l’expansion musulmane et un occidentaliste colonial ancré depuis la période coloniale.  

    Les cinéastes des années 1970 défient alors toutes formes de répression afin d’avoir le droit de s’exprimer et de tenter, par leur style de narration, de réveiller l’intérêt des spectateurs et les faire réagir. Ils contribuaient de la sorte à mettre les premiers jalons de ce qu’ils pouvaient considérer comme la prise de conscience d’une « opinion publique », même s’il faut déjà, avec Pierre Bourdieu, interroger la consistance de celle-ci : il est en effet permis de poser son hypothèse en tant qu’illusion, dont s’était particulièrement nourri l’empirico-fonctionnalisme des années 1950 avec la thèse dite des effets forts des médias, jusqu’à la critique de celle-ci à partir des années 1960 et surtout, des années 1970. Cette thèse laissait en effet penser que l’on pouvait « parfaitement » parvenir à ce stade ultime de la communication persuasive, à savoir, l’adéquation stricte entre le message émis, prescrit par le destinateur et le message retenu, compris et intégralement approprié par le destinataire.

    Quoi qu’il en soit de la complexité de compréhension des mécanismes de l’influence et de l’interaction entre les acteurs de messages, le travail de mémoire restait à faire de cette période trouble et féconde à la fois, qui, alliant aussi bien repérage idéologique et décryptage de la narratologie, proposerait d’analyser la filmographie de cette période historique importante et cruciale du cinéma tunisien des années 1970, étrangement négligée, sinon occultée. C’est ce relatif oubli mémoriel que cette thèse de doctorat se propose d’effacer pour relancer le questionnement contemporain de cet expressivisme esthétique et politique.

    Ce n’est cependant pas seulement par devoir de mémoire que nous entreprenons cette thèse, mais aussi et surtout avec la volonté de démontrer le rôle majeur et décisif joué par le contexte politique, social et intellectuel des années 1970, dans l’impulsion et le mûrissement des principales orientations et tendances prises par le cinéma tunisien, tant professionnel qu’amateur. Tout en prenant acte de l’unicité de chaque œuvre, la réflexion nous permet d’éviter de considérer les acteurs comme des monades isolées, totalement autonomes, et leurs jeux, publics et souterrains, respectifs sans lien avec notamment les structures et institutions spécialisées qui participent de l’expression culturelle et veillent à son organisation et à sa bonne gouvernance, au sein d’un espace public spatialement spécifique et historiquement en émergence.

       En 1956, juste après l’indépendance en 1956, Bourguiba a effectivement encouragé les arts et en particulier le cinéma. Il a mis en place plusieurs structures relevant du domaine public et privé, pour coordonner et réguler l’activité cinématographique et audiovisuelle dans le paysage culturel émergent. Il s’agit notamment de la création de la Société anonyme tunisienne de production et d'expansion cinématographique (SATPEC), du Ministère des affaires culturelles, du Centre National du Cinéma et de l’Image (CNCI), de la télévision et des Fédérations des Cinéastes Amateurs et Ciné-clubs, ainsi que de l’Association Tunisienne pour la Promotion de la Critique Cinématographique et les Structures cinématographiques journalistiques.

    Cette effervescence pour la culture, les arts, le cinéma et la liberté d’expression n’a pas duré très longtemps. Bourguiba a très rapidement entrepris de contrôler tous les espaces publics artistiques, en l’occurrence le théâtre et le cinéma tunisiens.

    Dès lors, les réalisateurs des années 1970 ont totalement désapprouvé un système bourguibien basé sur l’injustice, la frustration et la dictature. Le cinéma tunisien est alors devenu un espace de contestation politique et sociale. Il a ainsi abordé aussi bien les problèmes nationaux et internationaux ; il a parlé inégalités territoriales, problème d’accès à l’eau, travail des femmes, imposition d’un modèle économique par les étrangers…. Voilà pourquoi, les années 1970 sont considérées comme « l’âge d’or » du cinéma tunisien.

    La problématique autour de laquelle s’articule notre recherche se présente alors de la manière suivante : à quel degré le cinéma tunisien des années 1970 était-il en phase avec la dynamique politique, sociale et culturel culturelle de son époque, au point de constituer un bastion de résistance à toutes les dérives autoritaristes du pouvoir politique en place ? 

    Pour traiter cette question, il nous est apparu nécessaire de la décliner en questionnements multiples permettant d’explorer les différences facettes qui la sous-tendent. 

    1. 1. Le cinéma tunisien des années 1970 s’est-il inscrit dans une société dont les problématiques critiques doivent être contextualisées ? C’est-à-dire face au pouvoir personnel, répressif et oligarchique de Habib Bourguiba, comment les masses ouvrières, les organisations syndicales, les associations de la société civile, les étudiants et l’élite intellectuelle se sont-elles alors mobilisées pour revendiquer le droit du peuple tunisien à une vie démocratique et plurielle ? Comment les cinéastes de cette période ont-ils influencé la nouvelle génération, à partir de cette imprégnation socio-politique ? Le cinéma des années 1970 représente-t-il une école cinématographique, à part entière, ou seulement une politisation du culturel ?
    2. 2. Si l’image et sa manipulation offrent un champ de propagande largement exploité par le « Parti-État » de l’époque en Tunisie, l’image cinématographique a-t-elle pu constituer parallèlement un authentique support de résistance ? Le cinéma tunisien est-il un espace spécifique de contestation ou seulement une simple opportunité, source de profits, matériels et/ou symboliques, autour d’un choix stratégique de vecteur de messages sociétalement rentables ?
    3. 3. Les cinéastes des années 1970 ont-ils véritablement ouvert une voie nouvelle et proposé les transitions et les mutations nécessaires, tant sur le plan thématique que technique, pour l’émergence d’un cinéma tunisien plus adapté et plus à l’écoute des problèmes d’une société tunisienne, alors en pleine ébullition ?

    Tous ces questionnements et les conclusions partielles que notre recherche nous a permis de formuler au fur et à mesure de la progression de nos analyses et de la levée de nos hypothèses nous autorisent, in fine, à soutenir la proposition suivante : avec d’autres acteurs participant à la lutte pour le changement social et politique, ce cinéma des années 1970 constituait bien une des formes de construction d’un espace public autonome par rapport à l’espace public politique, y compris dans un environnement autoritaire comme l’était la Tunisie de cette période, dès lors que l’on souscrit à la thèse de la fragmentation de l’espace public initialement défini par Jürgen Habermas.