Journée d'étude organisée par Sabine Forero Mendoza et Hélène Saule Sorbé
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Le tableau est dans sa définition picturale une invention qui, à la Renaissance, transforme profondément le statut, les modes de fabrication et les usages des images en Occident. Il détermine une forme nouvelle de représentation, construite, cadrée et unifiée, dans des limites strictement définies.
L’étude lexicologique du terme révèle une dérivation progressive vers des sens figurés. Au XVIe siècle, on se met à parler de tableau à propos d’un spectacle ou d’un paysage évoquant une représentation picturale, puis la littérature s’empare du terme pour caractériser une description qui fait image. Au XVIIIe siècle, le vocabulaire théâtral désigne par tableau un moment d’arrêt sur une scène qui présente une unité visuelle et, à la même époque, les théoriciens du jardin se plaisent à délimiter des espaces paysagers qu’ils nomment tableaux. Plus récemment, l’expression de tableau est introduite à propos de réalisations grand format de photographes plasticiens. Que signifie un tel primat de la forme picturale sur les autres formes artistiques ?
L’extension terminologique n’invite pas seulement à s’interroger sur les relations entre les arts, mais encore sur les relations entre les arts et les sciences. À la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle, la notion de tableau fait son entrée dans le domaine de l’histoire naturelle et des sciences humaines naissantes, alors à la recherche de modes de figuration parlants. Le tableau désigne tantôt un paradigme descriptif tantôt un dispositif dont la fonction est de présenter des données et des connaissances sous une forme réduite, claire et ordonnée : il se fait généalogique, synoptique, synchronique ou bien « tableau de la nature », comme dans les écrits de Humboldt. Et, lorsque l’espoir d’une exposition complète de la totalité d’un champ du savoir se fait jour, c’est encore au modèle du tableau que l’on a recours, comme le montre le Tableau de la géographie de la France de P. Vidal de la Blache, qui inaugura en son temps une autre manière de concevoir la géographie et de l’enseigner. Mais, selon les époques et les disciplines, quel idéal du savoir et de sa communication le tableau véhicule-t-il ?
Alors même que le modèle du tableau se diffuse, son existence picturale semble de plus en plus compromise. L’avènement de la peinture de plein air et l’invention de la photographie mettent à mal la conception du tableau comme construction et synthèse, au profit d’une saisie fragmentaire et de l’appréhension du visible comme donnée immédiate. La lisibilité du représenté cède le pas à la matérialité de la touche au point que c’est désormais l’effet pictural qui fait le tableau. Bientôt, l’on proclame l’exécution du dernier tableau avec des accents prophétiques qui ne cesseront de résonner tout le long du XXe siècle. Le tableau est-il aujourd’hui seulement survivant ou reste-t-il bien vivant, mais alors sous quelles formes ?