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Mme. Magalie LATRY

 

a soutenu sa thèse en Arts (Histoire, Théorie, Pratique)

 

le 18 juin 2018 à 14h00

 

à la Maison de La Recherche - Salle des thèses (001) - de l'Université Bordeaux Montaigne. La soutenance est publique.



Confrontations artistiques et féministes aux hiérarchies du genre

 

sous la direction de M. Pierre SAUVANET



 Resumé (fichier .pdf)




Membres du jury:

 

  • Mme CHRISTINE BARD, Professeur des universités, de l'UNIVERSITÉ D'ANGERS
  • Mme SABINE FORERO, Professeur des universités, de l'UNIVERSITE PAU PAYS DE L'ADOUR
  • Mme KATALIN KOVACS, Maître de conf. HDR (université étrangère), de l'UNIVERSITE DE SZEGED
  • Mme HÉLÈNE MARQUIE, Maître de conférences HDR, de l'UNIVERSITE PARIS 8 UNIVERSITE VINCENNES
  • M. PIERRE SAUVANET, Professeur des Universités, de l'UNIVERSITE BORDEAUX MONTAIGNE
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    Résumé :

    Ce travail repose sur l'homonymie genre/genre : ce que le féminisme matérialiste a pu, avant de se réapproprier le gender anglo-saxon, appeler le « sexe social », en rapport avec les genres artistiques, dont la formalisation la plus claire, et aussi la plus citée, a été rédigée par Félibien dans la Préface aux Conferences de l'Académie royale de peinture et de sculpture pendant l'année 1667.

    Au-delà de l'homonymie, il s'agissait de vérifier l'intuition qu'une même logique de classement hiérarchique est à l’œuvre dans les deux champs, et que ces champs se recoupent, notamment dans les conditions d'exercice des femmes artistes, dont un stéréotype veut qu'elles se cantonnent aux genres dits mineurs. Un corollaire de la question des genres artistiques et sexués en tant que structure hiérarchique est la question de la critique, du renversement ou du contournement de la hiérarchie : les genres artistiques sont-ils mis en question et en crise aux mêmes moments que ce que l'historiographie féministe nomme les « trois vagues » ?

    Afin de vérifier les concomitances de ces moments de confrontation à la hiérarchie, la première partie (I) déroule, de manière chronologique, les trois vagues de féminisme et cette focale sur l'histoire de l'art, à travers les œuvres de femmes artistes.

    La première sous-partie (I.A) étudie une œuvre de Louise Moillon (Nature morte aux abricots, 1632) et permet de mettre en place les différents cadres de réflexion : conditions matérielles des femmes artistes, classification félibienne des genres artistiques, de la nature morte à la peinture d'histoire, double bipartition genrée des arts, entre pictural et sculpture, et entre dessin et couleur.

    La deuxième sous-partie (I.B) étudie la période longue de la première vague féministe, aux limites floues : l'historiographie féministe la place au plus tard entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle, mais d'autres bornes sont possibles et seront envisagées. La « première vague » au sens étendu est particulièrement ample, de presque un siècle et demi. À travers trois œuvres (Portrait d'une négresse, de Marie Guillemine Benoist, 1800, Clotho, de Camille Claudel, 1893 et un Autoportrait de Claude Cahun, 1928), un concept central pour l’histoire politique comme pour l'histoire artistique sera questionné : celui de progrès, qui ouvre cette sous-partie. Les premiers textes et les premières actions féministes seront mis en lien avec les œuvres, qui permettront de constater une appropriation de plus en plus étendue des différents champs artistiques par les femmes, tandis que les hiérarchies internes aux arts se font moins prégnantes, et la différenciation entre les arts, moins nette.

    La troisième sous-partie (I.C.) étudie la deuxième vague, aux contours bien plus définis que la première, celle que l'on a connue en France sous l'appellation MLF, qui a même daté l'année zéro de la libération des femmes. Les actions des féministes de la deuxième vague paraissent extrêmement proches de certaines attitudes artistiques, les œuvres choisies pour cette sous-partie sont créées par des féministes (Tirs de Niki de Saint Phalle, 1961, Azione sentimentale, de Gina Pane, 1973), et les limites sont mises à mal dans les arts : au-delà même d'une perte de hiérarchie, il y a dissolution des frontières entre arts de l'espace et arts du temps, jeux synesthésiques entre différents champs artistiques, naissance de nouveaux médiums – performance, happening, action, vidéo, installation – tandis que les féministes affirment l'éclatement de sphères traditionnellement distinctes : « le privé est politique », ce que ne manqueront pas de mettre à l’œuvre les artistes femmes, qui deviennent plus nombreuses, sinon plus reconnues. Cette sous-partie, comme les deux précédentes, s'attachera entre autres à la formation artistique des femmes. Les deux artistes choisies permettent d'en souligner deux valences : l'art autodidacte de Saint Phalle et les études aux Beaux-arts suivies par Pane, qui y enseignera une fois devenue artiste.

    Quatrième et dernière sous-partie (I.D.), la troisième vague et la période actuelle en art contemporain. Une seule œuvre a été choisie (Le régime chromatique, de Sophie Calle, 1997). Elle peut être étudiée d'un point de vue féministe et queer, en soulignant sa dette aux avant-gardes comme ses traits « postmodernes » (en suivant les écrits de Lyotard, Jameson et Anderson). Elle sera un support pour penser et mettre en perspective les courants et les concepts qui voulaient abattre les catégories, mais qui, en définitive, pourraient bien devenir des catégories à leur tour (avant-gardisme, modernisme, féminisme). Une réflexion plus large sur les scénographies et les différentes manières d'exposer des œuvres de femmes artistes sera portée par la présentation de cinq expositions (Fémininmasculin, Vraiment féminisme et art, Hors d’œuvres, elles@centrepomipdou, les Papesses). L'œuvre de Calle et ces expositions seront mises en lien avec les féminismes de la fin du XXe et du début du XXIe siècles. La troisième vague se diffracte en plusieurs courants, au-delà des traditionnelles lignes de fracture féministes, et se nourrit de pensées politiques connexes. L'accent sera mis sur des auteur.e.s queer (Preciado, Lauretis, Bourcier, Kosofsky-Sedgwig, Butler), mais le point de vue intersectionnel sera également convoqué (Crenshaw, hooks, Bilge, Dorlin, Kergoat).

    La deuxième partie (II) fait retour sur la permanence de certains traits attribués aux femmes artistes et sur la prégnance de catégories artistiques qui, bien que mises en question par l'art des avant-gardes, continuent de marquer notre regard, et souvent la pratique des artistes. La chronologie de la première partie est abandonnée pour un regard plus transversal qui va chercher à pointer les thèmes permettant de penser une hiérarchie toujours à l’oeuvre. Nonobstant des progrès constatés lors de la première partie, l'oppression est toujours le cadre de travail et d'existence des dominé.e.s. Cette partie n'est pas un catalogue ni un tour d'horizon complet : c'est à partir des oeuvres choisies que les stéréotypes sur les femmes seront listés dans une première sous-partie, puis c'est sur deux axes de réflexion (le sexe, le genre) que sera tentée une approche plus conceptuelle.

    La première sous-partie s'attache à cinq stigmates féminins (folles, cuisinières, coquettes, médiocres, sorcières) qui, pour certains, sont réappropriés par les artistes femmes et/ou les militantes.

    Le chapitre sur les folles s'appuie principalement sur deux artistes du corpus qui ont été internées (Claudel, Saint Phalle), sur l'histoire de la folie (Foucault) et l'invention de l'hystérie (Didi-Huberman). Le rapport des femmes à une folie typiquement féminine, l'hystérie, le danger potentiel de l'enfermement, les limites entre folie et création, le rapport à la norme seront interrogés.

    Celui sur les cuisinières s'appuie sur les représentations de la nourriture (de Moillon à Calle, pour notre corpus, mais aussi avec l'exposition Hors-d’oeuvre), sur l'investissement massif des femmes artistes dans le genre de la nature morte, mis en relation avec les analyses philosophiques, historiques et matérialistes de Beauvoir, Perrot, Delphy, Tabet, Mathieu et Guillaumin, ainsi que l'analyse d'exemples de manuels d'économie domestique produits au XIXe siècle, au moment de la première vague...

    Celui sur les coquettes s'attache principalement au tissage (mais aussi à la broderie et à la couture) dans l'histoire des femmes. Encore une fois, la base matérialiste de ce stéréotype sera étudiée, mais aussi, avec Bard, l'histoire des vêtements, et particulièrement de ceux des artistes.L'analogie coquetterie/peinture avec le vêtement (toile) et le maquillage (peinture) explique le fait que la peinture a été considérée comme féminine : cela sera traité dans la IIIe partie.

    Le soupçon de médiocrité se retrouve chez les détracteurs des artistes femmes, mais travers aussi leurs certains textes plus enclins à les « défendre ». Certains noms reviennent comme des contre-exemples exceptionnels, une vérification la plus objective possible s'est imposée : les artistes femmes sont-elles si médiocres ? Une base 451 artistes, de l'Antiquité à nos jours, est analysée selon trois caractéristiques (art plastique pratiqué, genre artistique, filiation ou non avec un artiste homme). Certains résultats de ce travail statistique contredisent le stéréotype des femmes artistes cantonnées aux genres mineurs, même dans les Temps Modernes, et confirment, au-delà des attentes, la quasi-nécessité pour une femme d'être « fille de » ou « femme de » pour accéder à la reconnaissance, même au XXe siècle.

    La notion de réappropriation du stigmate est vraiment opérante concernant le stigmate « sorcière », particulièrement chez les artistes et féministes de la deuxième vague. Ce chapitre est l'occasion de revenir sur l'histoire des sorcières, sur leur représentation, mais aussi sur l'essentialisme qui nous paraît être une ligne de fracture infranchissable entre différents féminismes.

    La deuxième sous-partie (II.B.) étudie, de manière nécessairement partielle un stigmate matrice : celui de sexe. Il s'agit à travers deux constats (les femmes passent, plus que les hommes, pour « être » un sexe, au point d'y être réduites ; ce sexe serait censé gouverner notre existence entière) et deux pistes(non-mixité militante et artistique ; réappropriation du stigmate) d'évaluer quelles sont les possibilités pour les femmes artistes de se saisir de cette question.

    Enfin, la troisième sous-partie (III.C.) pourrait être considérée comme le noyau dur de la thèse : une interrogation étymologique, sémantique et historique du concept de genre, en axant sur les trois champs qui nous intéressent : le genre comme classement social des individu.e.s (hommes/femmes), le genre comme taxinomie artistique, et les rapports entre ces deux classements (les partitions genrées des arts).

    Ceci posé, la troisième partie se propose d'étudier trois pistes de contournement du genre possible.

    En premier lieu (III.A.), en partant du constat d'une bipartition genrée des arts, où l'intellectuel est censément masculin contre le féminin sensible, une étude des rapports des artistes du corpus aux textes permettra de constater que toutes les frontières sont poreuses : entre les domaines artistiques (littérature, arts plastiques), à l'intérieur même des arts plastiques, et entre le supposé masculin et le supposé féminin.

    Les deux dernières sous-parties sont plus incarnées. C'est en partant des corps (corps représentés, corps des images, corps des artistes) et des rapports entre les corps (entre l'artiste et la matière : la plasticité) que s'affirment selon nous une modalité critique particulièrement efficiente face aux hiérarchies du genre : plutôt que l'affrontement ou le renversement, le contournement.

    Que ce soit dans la représentation des corps qui affirment les porosités des frontières (III.B.1.), dans l'étude sémiotique des oeuvres qui ne semble devoir aboutir qu'à l'inanité des classements traditionnels (III.B.2.a.), dans l'objet esthétique de l'incarnat (II.B.2.b), dans la valence performative de la présentation des corps des artistes(III.B.3.), la question du corps déborde tout cadre.

    Et, en revenant au coeur de la pratique plastique (de plassein, façonner, modeler, plastir), avec le concept clé de plasticité qui s'adapte à tous les champs que nous avons décidé d'étudier, une voie semble possible pour expliquer que le contournement du genre est, en art, à l’oeuvre.